Petit thésaurus de médias imaginaires : machines de mémoire totale (1990-2019)
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[Transplanteur mémoriel] (Phoenix Biogenic)
Dans Self/less, la firme Phoenix Biogenic propose un service illégal de prolongement de la vie. Pour 250 millions USD, une technologie permet de recommencer une nouvelle vie dans un autre corps biologique et sous une nouvelle identité. Atteint d’un cancer incurable, le personnage principal du film, Damian Hale (Ben Kingsley), fait affaire avec l’entreprise pour « transférer » ou « transplanter » sa mémoire dans un nouveau corps. Appelé « shedding » (« faire peau neuve ») dans le film, le transfert se réalise dans une machine magnétique assez imposante ressemblant à une machine d’imagerie par résonance magnétique (IRM). Le processus, très rapide, dure moins de 20 minutes : le client (appelé « patient ») est allongé sur une civière et se fait copier la mémoire, tandis qu’à quelques mètres et parallèle à celui-ci se trouve le corps receveur ou corps-prothèse. Le transfert est direct. Le corps d’origine du client est ensuite acheminé vers un hôpital pour attester de la mort de celui-ci. Quant aux corps biologiques de remplacement, ils sont produits dans les laboratoires de Phoenix Biogenic. Selon le directeur de l’entreprise, le Docteur Albright (Matthew Goode), les corps-prothèses conçus en laboratoire sont de qualité supérieure : « Genetically engineered for perfection, harvested to maturity so looks, athleticism, every detail of your new anatomy were designed to offer you the very best of the human experience. » (05:54) Or, tous les corps receveurs ne sont pas forcément créés en laboratoire. Certains d’entre eux peuvent avoir appartenu à des personnes à qui l’on a préalablement effacé la mémoire épisodique. Dans ce cas, certains fragments de souvenirs, la mémoire procédurale (celle du corps), des capacités physiques et des réflexes peuvent persister et perturber la transplantation, voire causer un rejet de l’implant. Sans une médication adéquate, la mémoire du corps d’origine reprend le dessus et la mémoire implantée se dissipe peu à peu.
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T-SFERT (Syrmedic)
En France, la compagnie Syrmedic a inventé T-SFERT, une technologie de « transfert de mémoire ». Pour fonctionner, les « transferts » fonctionnent à l’aide d’une molécule, inventée pour « séparer l’esprit du corps humain », et d’une machine-ordinateur reliée à deux caissons. Le patient est allongé dans le premier caisson. Sa mémoire est transférée vers le corps receveur contenu dans le second caisson. Comme l’explique le Dr Michel Vautier, spécialiste en « transfert neural », lors d’une procédure, « on observe une reconstitution des circuits neuronaux […] L’esprit prend totalement possession du nouveau corps. C’est comme un fichier informatique que tu copies et qui écrase le fichier précédent » (S01E03, 28:52). À l’origine, les transferts étaient légaux et effectués dans un cadre médical. Une personne en fin de vie, par exemple, pouvait suivre une procédure de transfert si un corps receveur était disponible. Le don de corps est ainsi comparable à un don d’organe, une personne pouvant décider de son vivant de léguer, à sa mort, son corps biologique entier. Cependant, de nombreux patients « transférés » ont vécu des épisodes de rejets (appelés « contre-transferts ») : la mémoire résiduelle du corps receveur ressurgit et provoque des hallucinations psychotiques. La personne transférée devient instable et dangereuse. Les autorités ayant constaté cela, la pratique a été totalement interdite. Mais les procédures de transfert n’ont pas disparu pour autant; des laboratoires illégaux continuent d’exister. Une brigade spécialisée a donc été mise sur pied pour traquer les « transférés » désormais illégaux et les réseaux criminels organisés. Dans la diégèse, il existe un marché noir sur lequel on peut acheter des corps en vue d’un transfert. Les corps en vente appartiennent à des individus non consentants et gardés en captivité. Sur ce marché illégal, les acheteurs font monter les enchères en ligne, jusqu’à débourser 120 000 euros pour un corps receveur.
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Memory Orb (Stelline Laboratory)
L’industriel Niander Wallace a créé une nouvelle lignée d’androïdes biologiques, les Nexus-9 (aussi appelés les « répliquants »). Ceux-ci sont plus dociles que les anciennes générations créées par la Tyrell Corporation. Les êtres artificiels faits de chair et d’os créés par la Wallace Corporation possèdent des souvenirs implantés qui leur confèrent une personnalité, une stabilité émotionnelle et une certaine humanité. La multinationale Wallace achète les souvenirs à des sous-contractants. Elle fait notamment affaire avec le laboratoire indépendant dirigé par Dre Ana Stelline (Carla Juri). Considérée comme la meilleure fabricante de souvenirs à implanter, Stelline fabrique des faux souvenirs dans un dôme à l’aide d’une machine holographique. Les souvenirs produits sont inédits et doivent avoir l’air le plus authentiques possibles. Il est en effet illégal d’implanter de vrais souvenirs dans les répliquants. Stelline qualifie son travail d’art. Lorsque K (Ryan Gosling), le personnage principal, va lui rendre visite, Stelline décrit les souvenirs qu’elle fabrique de la manière suivante : « I can’t help your future, but I can give you good memories to think back on and smile. […] It feels authentic. And if you have authentic memories, you have real human responses. » (1:18:59) Dans cette scène, on la voit fabriquer en quatre dimensions un souvenir d’enfance relié à un anniversaire. Pour ce faire, elle utilise le Memory Orb, une petite machine cylindrique munie de bagues qui rappellent vaguement celles d’un objectif d’appareil photo et qui lui permettent de paramétrer les détails du souvenir. Stelline possède aussi une autre machine de mémoire qui offre la possibilité de lire les souvenirs des individus. Lorsque K lui demande s’il est possible de déterminer la réalité ou l’artificialité d’un de ses propres souvenirs, elle l’invite à utiliser cette machine de lecture (1:20:00). Celle-ci se présente comme une installation rappelant les sièges employés dans la conception d’autres machines imaginaires (à l’exemple de Total Recall ou de Dollhouse, avec des variantes : l’individu assis sur le siège, passif, semble traversé d’ondes, tandis que Stelline perçoit les images de ses souvenirs par le biais d’une sorte de lunette rappelant celle d’un microscope électronique (ainsi pourrions-nous appeler ce lecteur un « mémoriscope »).
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Rememory Machine (Cortex)
Le psychologue Gordon Dunn (Martin Donovan), directeur de la firme Cortex, est l’inventeur d’un prototype technologique qui permet d’enregistrer la mémoire épisodique des individus et d’en visionner des extraits audiovisuels sur un petit écran transparent. Selon le Dr Dunn, « the Rememory Machine allows people to experience the truth of their lives. […] Quite simply, this device allows people to experience the real event again by extracting and transcribing the actual memory from their brain […] and displaying it before them, providing the opportunity to understand and, more importantly, cope with their past. Pure, uncluttered, unfiltered truth. » (8:46) La Rememory Machine se présente sous la forme d’une boîte avec un curseur intégré et un écran rétractable. Une fente accueille une plaquette de verre sur laquelle les souvenirs numérisés d’une personne ont été gravés. La technologie repose sur l’idée selon laquelle le cerveau se rappelle de tout ce qui est arrivé : dans la diégèse, toute trace du passé existe et est susceptible d’être transformée en images audiovisuelles. « With the technology of the Rememory Machine, pure memory is recorded onto a memory glass... objectively copied from the brain and able to be displayed […] a sort of theater of memory, in which the patient becomes audience to the truth of their lives. » (32:58) Afin d’enregistrer un souvenir, un léger casque d’enregistrement électromagnétique accède aux chemins synaptiques des patients et encode des influx nerveux. Cependant, la machine n’est pas sans conséquences, car en accédant aux souvenirs d’un individu, elle peut aussi modifier et corrompre la mémoire de celui-ci. Les patients ayant enregistré des souvenirs souffrent de nombreuses hallucinations. Cette technologie comporte donc une part importante de risque, qui remet en question sa valeur thérapeutique. De plus, bien que cela ne soit pas sa fonction première, la Rememory Machine permet d’effacer certains pans de la mémoire épisodique, pouvant provoquer des problèmes neuronaux, voire entraîner la mort. Imaginée dans un contexte médical dans le film, cette technologie soulève aussi des enjeux relatifs au passé, à la nostalgie et à la vie privée. Par ailleurs, d’un point de vue matériel, les plaques de verre sur lesquelles sont enregistrés les souvenirs constituent une représentation originale se distinguant des représentations usuelles de machines de mémoire imaginaires, qui conservent habituellement les données sur des disques durs ou sur des serveurs distants. Ces plaques rappellent celles du film The Final Cut utilisées pour les films-mémoires. Le récit justifie ce choix : le Dr Dunn refuse en effet que les données mémorielles des individus ne soient stockées sur des serveurs informatiques.
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Simulateur I-Land
Dans la diégèse de la série télévisée The I-Land, une institution carcérale texane a mis sur pied un programme pilote qui fait appel à une nouvelle technologie de simulation virtuelle. Afin de savoir si certains condamnés (incarcérés la plupart pour des crimes majeurs) peuvent être réhabilités, une dizaine d’entre eux sont envoyés sur une île déserte : « The I-land ». À la manière d’un jeu vidéo de survie, les personnages sont incités à construire des abris, à faire du feu et à trouver de la nourriture avec le peu de ressources disponibles. Cette expérience doit permettre d’observer les comportements moraux et les interactions des prisonniers afin de décider de leur sort. Selon le directeur de la prison, il s’agit de voir ce que les prisonniers feraient s’ils pouvaient bénéficier d’un nouveau départ (épisode 3). Afin de « repartir à zéro », la mémoire autobiographique des condamnés est sciemment effacée par l’administration pénitentiaire : aucun des prisonniers ne se souvient de son passé ou même de son prénom, de sa profession ou de quelque détail que ce soit concernant sa vie « d’avant ». Or, l’île où ils sont envoyés n’existe pas réellement, elle n’est qu’un simulacre, une simulation virtuelle. Les prisonniers prenant part à l’expérience flottent dans des caissons branchés à un ordinateur. Malgré quelques légers bugs informatiques, la technologie de simulation virtuelle est phénoménologiquement très réaliste. Toutefois, bien qu’il s’agisse d’un environnement simulé, si un participant meurt sur l’île, il décède réellement dans son caisson. La simulation est supervisée depuis une salle de contrôle et, à la façon d’une téléréalité, le scénario est ajusté par un algorithme en fonction des interactions des participants. Dans l’histoire, le séjour des prisonniers sur l’île paradisiaque virtuelle vire rapidement au cauchemar. Les résultats de cette expérience en huis clos sont en somme très prévisibles; la majorité des condamnés périssent sous l’effet des forces de la nature (l’un d’entre eux se fait dévorer par un requin) ou sous les coups de leurs congénères devenus fous. D’emblée, la perte de toute mémoire épisodique antérieure à l’expérience en désoriente plus d’un. Puis, l’enjeu de survie rajoute un stress qui mène cette expérimentation droit au désastre. Précisons que la simulation est fondée sur un algorithme particulier : si l’un des prisonniers commet un crime, l’algorithme fait en sorte qu’il meure. Dans la diégèse, l’expérience I-Land est très controversée : tandis que le directeur de la prison pense que le projet est une perte de temps et d’argent, des universitaires (un sociologue, une psychiatre et une ingénieure en intelligence artificielle) affectés au programme pilote se querellent au sujet de la suite à donner à l’expérimentation.
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Simulateur San Junipero (TCKR Systems)
Supporté par la firme TCKR Systems, le simulateur San Junipero imaginé dans l’épisode « San Junipero » de la série Black Mirror se présente sous la forme d’une technologie de cyberconversion. À l’origine, le dispositif répond à un besoin thérapeutique : « The system’s there for therapeutic reasons, immersive nostalgia therapy. Plunge you into a world of memories. Helps with Alzheimer’s, that’s what they say. » (42:46) Cependant, les fonctions du système sont bien plus diversifiées. Les personnes en fin de vie, dans le coma, en situation de handicap lourd ou désirant mettre un terme à leurs jours peuvent par exemple adhérer à un programme de cyberconversion leur promettant une « vie » éternelle dans un monde virtuel en quatre dimensions. À leur mort, la conscience des individus est ainsi émulée par un algorithme grâce à de puissants serveurs informatiques. S’ils en font le choix, les défunts peuvent poursuivre, de manière permanente et comme bon leur semble, leur « vie postmortelle » à San Junipero, une ville virtuelle en bord de mer. San Junipero est décrite comme une sorte de « paradis » artificiel axé sur le plaisir, où l’on peut être éternellement jeune et où tout semble possible. Ceci dit, à tout moment, un individu ayant choisi d’y « vivre » peut aussi choisir de mettre fin à l’expérience, c’est-à-dire de « mourir » pour de bon. Ce système informatique permet également aux vivants de visiter virtuellement leurs proches en situation de postmortalité, voire de faire la rencontre d’inconnus le temps de quelques heures. Toutefois, les vivants sont invités à ne pas rester plus de cinq heures par semaine à l’intérieur de la réalité virtuelle immersive. Pour les touristes (les vivants), le voyage à San Junipero se fait par exemple le samedi, de 19h à minuit. Pour ce faire, une puce non invasive est posée sur la tempe d’une personne et l’expérience démarre dès que celle-ci clique sur une petite manette blanche. À minuit, le système se déconnecte automatiquement. En ce qui concerne les individus décédés « vivant » à San Junipero, leurs données mémorielles sont conservées dans des capsules informatiques individuelles et émulées par les serveurs de TCKR Systems. En effet, chacune des personnes résidant de façon permanente dans la ville virtuelle a fait l’objet d’une cyberconversion. Juste avant la mort, son identité mémorielle est « téléversée » dans un « nuage informatique ». Le centre de données qui émule les « doubles numériques » des défunts est opéré de façon automatisée par un bras robotique.
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Cookie (Smartelligence)
Le dispositif Cookie imaginé dans l’épisode « White Christmas » de la série Black Mirror se présente comme étant capable de copier la mémoire d’un individu. L’idée est de créer un double numérique d’une personne afin que celle-ci puisse être utilisée via une interface, dans un but domotique ou policier par exemple. Dans le premier cas, une riche cliente nommée Greta (Oona C. Chaplin) fait appel à la compagnie Smartelligence afin de faire « cloner » sa mémoire : elle souhaite que sa copie artificielle (appelons-la Greta 2.0) puisse gérer sa maison connectée et son emploi du temps à sa place. Le dispositif doit par exemple la réveiller le matin, faire couler le café, ouvrir les volets et gérer ses rendez-vous. L’intelligence artificielle alimentée par les données de Greta « connaît » les goûts de cette dernière et peut devancer ses moindres envies. L’intelligence artificielle répond en fait aux commandes vocales en langage naturel. Pour être utilisé, cet assistant personnel à l’allure ovoïde doit être préalablement configuré. C’est Matthew Trent (Jon Hamm), à l’emploi de la firme Smartelligence, qui est chargé de régler le programme algorithmique relié au réseau des appareils ménagers. Matthew doit expliquer à Greta 2.0 son rôle et lui indiquer comment se comporter. Cependant, le problème réside en ce que la Greta 2.0 est une intelligence artificielle forte qui possède une « conscience », notamment du temps qui passe, et qui peut souffrir. « You’re a simulated brain full of code, stored in this little widget we call a cookie. […] You see, what this is, it’s a service. We take a blank cookie and we surgically implant it into a client’s brain. It sits there just under the skin for about a week, shadowing. Soaking up the way this particular mind works. That’s why you think you’re you. You are you. But also not. » (32:57) Si l’IA se rebelle ou ne répond pas aux attentes, Matthew a pour tâche de la discipliner à l’aide d’un programme informatique de torture basé sur l’ennui. Il l’isole alors du monde pour une durée plus ou moins longue et celle-ci se retrouve désœuvrée. Quelques minutes dans la réalité de Matthew équivalent à six mois pour l’IA. En l’espace de quelques minutes, qui ont paru durer une éternité à Greta 2.0, Matthew parvient ainsi à la « configurer », c’est-à-dire à l’assujettir totalement. L’épisode présente par ailleurs un deuxième cas de double numérique. Un procédé technologique similaire est utilisé afin de faire parler la copie numérique de Joe Potter (Rafe Spall), un détenu qui s’est terré dans un mutisme complet. Rendant service à la police, Matthew est chargé de récolter les aveux du double numérique de Joe par le biais d’un monde artificiel simulé lui permettant de s’entretenir en face-à-face avec lui. Croyant être à la période de Noël, attablé devant un repas chaud dans un chalet nordique assez reculé, le double numérique de Joe en vient à se confier à Matthew, ignorant non seulement le piège qui lui a été tendu (c’est-à-dire qu’il se trouve dans une réalité virtuelle), mais aussi qu’il est en fait une « copie » indépendante de la « conscience » de Joe, lequel se trouve toujours en prison. Grâce au Cookie et à la manipulation psychologique exercée par Matthew, des aveux ont été extorqués sans le consentement du prisonnier.
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Recaller (Realm Insurance)
Dans l’épisode « Crocodile » de la série Black Mirror, une firme d’assurance nommée Realm Insurance utilise le Recaller afin de corroborer les souvenirs des témoins d’accidents de la route. Afin d’instruire un dossier, les enquêteurs de la compagnie d’assurance rencontrent les divers témoins reliés à l’accident et leur proposent une nouvelle manière de raconter leurs souvenirs de l’événement. L’expert place une puce non invasive sur la tempe d’un témoin, lui permettant ainsi de recueillir une version audiovisuelle de la scène d’accident en question sur le petit écran d’un appareil portable prévu à cet effet. Le Recaller permet d’accéder aux traces (engrammes) mnésiques des individus dont les souvenirs sont toujours partiels, peu précis et subjectifs. Néanmoins, par le biais de certains indices visuels ou auditifs, l’enquêteur tâche de reconstruire la scène de l’accident et d’alimenter le dossier en preuves. Dans l’épisode, Shazia Akhand (Kiran Sonia Sawar), une agente d’investigation travaillant la firme Realm, tente de faire le point sur un accident impliquant un véhicule autonome et un piéton. Sans le vouloir, elle accède à des souvenirs noirs reliés à deux meurtres.
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Mind’s Eye + Ether
Dans la diégèse du film Anon (Andrew Niccol, 2018), la grande majorité des individus porte un implant numérique par le biais duquel ceux-ci sont surveillés en permanence. L’implant, que l’on peut supposer être rétinien, génère une interface nerveuse numérique ayant de multiples fonctions. Contrôlé par la pensée, le dispositif communément appelé Mind’s Eye (l’œil de l’esprit) se superpose à la vue et permet par exemple de traduire les langues étrangères en temps réel, de reconnaître les visages et les personnes que l’on croise, d’écouter de la musique « dans sa tête », de payer ses achats, de téléphoner ou encore de transmettre des fichiers entre implantés. Suivant la logique de la réalité « augmentée » (éléments interfaciels superposés à la vue subjective), l’interface translucide affiche de nombreuses informations (nom et profession des personnes croisées, informations publicitaires, informations nutritionnelles, etc.) et assiste la vie quotidienne par le biais d’une reconnaissance algorithmique des activités (un avertissement surgit par exemple si un individu se trouve dans une situation dangereuse). Anon présente ainsi un monde futur hyperconnecté et hypersurveillé où nos terminaux personnels d’usage ont disparus; les ordinateurs personnels et les téléphones, par exemple, ne sont plus nécessaires puisque tout se trouve désormais « dans la tête ». Les technologies ont été invisibilisées, leurs fonctions ayant convergé dans la bionanopuce. Cette technologie s’inscrit dans l’idéologie du « frictionless » ou de l’interface dite « naturelle ». Cependant, puisque les implants sont intracorporels, il est très difficile pour leurs usagers de se défaire de l’emprise des mesures de contrôle qu’elles permettent. Anon représente ainsi une société où l’anonymat est considéré comme l’ennemi numéro un (52:53). L’implant ne peut être activé ou désactivé suivant la volonté de son usager-porteur. En fait, les percepts de celui-ci sont constamment médiés par l’interface nerveuse numérique et ce qu’il entend et voit est systématiquement enregistré et stocké sous format numérique. Une quantité incommensurable d’archives audiovisuelles en plans subjectifs est ainsi produite et centralisée dans un réseau de données nommé Ether, que contrôlent les forces de l’ordre. La police peut ainsi naviguer dans Ether, visionner les images d’un individu suspect et même accéder à ce que ce dernier perçoit en temps réel. Pour les quidams, le système interfacé se présente moins sous les traits d’un système de contrôle et de surveillance que comme un service qui les assiste quotidiennement et conserve les traces numériques de leur existence à la manière d’un dispositif d’hyperlifelogging. Malgré tout, comme le rappelle un personnage, lorsque tout est connecté, tout devient vulnérable. Dans le récit, des pirates informatiques parviennent à modifier la vision « augmentée » des personnes, à créer des hallucinations perceptives par le biais de programmes informatiques et à effacer des « souvenirs numériques » (enregistrements de percepts stockés sous un format numérique). Les données et métadonnées enregistrées par l’implant et stockées dans Ether sont considérées comme des éléments de preuve probants par la police. Or, la possibilité de leur piratage remet évidemment en question leur fiabilité, et avec elle les méthodes d’enquête policières, qui reposent essentiellement sur l’usage immodéré de cette technologie. Cette technologie imaginaire fait sensiblement écho à XKEYSCORE, le logiciel espion réel de la National Security Agency (NSA). Edward Snowden (2019) écrit que c’est ce qu’il a « pu voir de plus proche de la science-fiction dans la science elle-même : une interface permettant de taper l’adresse, le numéro de téléphone ou l’adresse IP d’à peu près n’importe qui et de se plonger dans l’histoire récente de son activité en ligne » (p. 311); « Le programme qui rendait possible cet accès était appelé XKEYSCORE, que l’on pourrait décrire comme un moteur de recherche permettant à l’analyste de chercher dans tous les enregistrements de votre vie. Imaginez une sorte de Google qui, au lieu de montrer des pages de l’internet public, proposerait des résultats issus de vos e-mails privés, de vos chats privés, de vos fichiers privés, etc. » (p. 308). La technologie imaginée dans Anon va encore plus loin : elle donne accès en temps réel et de manière asynchrone aux percepts audiovisuels des individus.
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MASS
L’épisode « Men Against Fire » de la série Black Mirror met en scène un implant militaire avancé. La puce a été créée dans le but d’améliorer l’efficacité des armées. Tous les soldats qui en sont porteurs possèdent une perception identique et normée. Grâce à une surimpression rétinienne, les soldats possèdent une vision modifiée et ont accès à différentes informations importantes (retransmission de vues de drones, plans en trois dimensions, par exemple). L’implant assiste les soldats sur le terrain et enregistre également l’entièreté des percepts de ceux-ci. D’autre part, certains sens des soldats, comme l’odorat, sont coupés ou altérés de façon à minimiser les distractions sur le terrain. L’interface permet aussi à son usager de réexpérimenter phénoménologiquement ce qui a déjà été vécu par celui-ci. Il ne s’agit pas simplement de visionner des images, mais de ressentir avec exactitude un état passé. Dans une scène, le soldat Stripe (Malachi Kirby) apprend malgré lui que l’implant a cette fonction lorsqu’il est contraint de revivre, comme s’il y était, l’assassinat qu’il a commis quelques jours auparavant. Stripe ignore également que l’interface substitue en temps réel à la réalité qu’il perçoit une vue modifiée (ou « augmentée ») de façon à déshumaniser, par des effets visuels, sonores et olfactifs, les ennemis qu’il doit abattre. Le soldat perçoit ainsi une réalité déformée par l’interface nerveuse numérique dont il est porteur, son expérience vécue étant en partie simulée informatiquement. Lorsqu’il dort, ses rêves sont aussi manipulés par le biais de l’implant. Et une partie de sa mémoire épisodique a été effacée. MASS constitue en quelque sorte une remédiation du casque SQUID (Strange Days, 1995), qui provient lui aussi du domaine militaire. Dans « Men Against Fire », les soldats sont surveillés par le biais de l’implant, qui enregistre continuellement l’expérience de chacun d’eux. L’appareillage matériel conséquent de Strange Days (les deux casques SQUID, les mini-disques et le lecteur approprié) a laissé la place à un implant invisibilisé, dont les porteurs ignorent certaines des fonctionnalités. Stripe sait qu’il dispose d’une interface nerveuse graphique, qui l’aide à réaliser ses actions militaires, mais n’est pas conscient que sa vision est modifiée en permanence. Lorsqu’il l’apprend, il n’a pas la possibilité de désactiver ces fonctions opérant à son insu ou de se débrancher de la simulation, car l’implant MASS est logé dans son corps (dans ses globes oculaires semble-t-il). La miniaturisation et l’invisibilisation du dispositif technologique enlève toute emprise à son usager sur celui-ci. Contrôlé par un tiers, l’implant peut devenir un instrument de torture. Par exemple, lorsqu’on oblige un usager à revivre en boucle certaines expériences passées, il lui est impossible de fermer les yeux ou de se boucher les oreilles puisque l’interface est intracorporelle. À l’inverse, un tiers peut aussi effacer certains souvenirs des usagers. On remarque dès lors que la forme matérielle du dispositif technologique sous-jacent à l’interface nerveuse numérique revêt une importance fondamentale du point de vue de la liberté individuelle. « Men Against Fire » est intéressant à cet égard : la transparence de la médiation se double d’une invisibilisation matérielle du dispositif, lequel est entremêlé au corps.
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[Interface nerveuse numérique iBoy]
La technologie imaginée dans le film iBoy (Adam Randall, 2017) n’a pas été conçue ou inventée par un savant fou, elle est le fruit du hasard. Alors qu’il assiste à une agression, le personnage principal, Tom (Bill Milner) prend la fuite. Poursuivi par les malfrats, il tente de téléphoner à la police, mais reçoit une balle dans la tempe. À la suite de cet accident, Tom se réveille à l’hôpital et découvre qu’il possède de nouvelles capacités techniques. Un médecin explique à Tom que la balle qui l’a atteint à la tête a d’abord traversé son téléphone mobile et que des morceaux de l’appareil ont ainsi été dispersés dans son cerveau. Son corps aurait naturellement fusionné avec des éclats de circuits électroniques. Dorénavant, Tom peut capter des conversations téléphoniques. Par le seul pouvoir de sa pensée, il apprend ensuite à naviguer sur Internet, à pirater des dispositifs numériques et des objets connectés, à envoyer des textos, à filmer ce qu’il perçoit, et ce, avec une facilité déconcertante. Tom possède une interface nerveuse numérique dont il a la parfaite maîtrise. L’interface trouve une fonction utilitaire dans la quête justicière du personnage, qui voudra retrouver ses agresseurs et les punir. La technologie lui confère un avantage considérable sur ceux-ci. Elle lui octroie aussi une mémoire élargie et la possibilité de surveiller à distance ses cibles en se connectant par exemple aux caméras de sécurité. Formellement, l’interface est représentée par une luminescence bleutée, aux contours flous, sous la forme de texte, de chiffres et d’images. Les informations interfacées se superposent en trois dimensions au monde du personnage (voir images), à la manière d’une « vision augmentée ». Elle ressemble en ce sens à l’interface imaginée dans la websérie H+.
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Neuralyzer
Dans l’univers de la série de films Men in Black, les agents en costumes noirs emploient le Neuralyzer afin d’effacer les souvenirs des individus qui auraient vu des extraterrestres. Tout agent du MiB (agence Men in Black) possède un Neuralyzer. Il s’agit d’une petite machine longiforme qui émet un flash lumineux rouge qui efface la mémoire. « This is called a Neuralyzer. […] The red eye here isolates the brain’s impulses, specifically the ones for memory. » (Men in Black, 7:48) Grâce à des curseurs présents sur la machine portable, l’agent règle l’empan temporel qui doit être effacé (depuis tant de minutes, d’heures ou d’années). La technologie permet donc d’effacer quelques heures de souvenirs, mais également toute la mémoire épisodique d’un individu. Une fois que l’effacement a eu lieu, l’agent n’a plus qu’à inventer un récit que la personne amnésique pourra croire. À travers les différents films, le Neuralyzer a évolué. La technologie n’a pas toujours été portable. Men in Black 3 nous ramène en 1969. À cette époque, le Neuralyzer n’a pas encore été miniaturisé. Il est comparable à une machine médicale d’imagerie par résonance magnétique (IRM) dans laquelle les individus doivent être placés pour être « neuralysés » (Men in Black 3, 45:58). Chaque film propose une évolution du design du Neuralyzer. Dans le deuxième opus, la lumière du flash est devenue bleue. Ce même film présente aussi le Deneuralyzer, une machine permettant d’annuler les effets du Neuralyzer. Le Deneuralyzer fouille parmi les souvenirs enfouis, ce qui laisse comprendre que le Neuralyzer n’efface pas véritablement les souvenirs, mais les confine à l’oubli. Le Neuralyzer est représenté comme un simple outil au service des agents. Les enjeux reliés à la facilité d’effacer la mémoire d’une personne et les risques associés à cette opération sont généralement peu abordés dans les films. Toutefois, Men in Black: International aborde la question. On y apprend en effet que l’un des agents s’est fait « neuralyser » et imposer un récit fabriqué de toutes pièces par un collègue.
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Zoe + Guillotine (EyeTech)
Commercialisés par la firme EyeTech, les implants Zoe s’inscrivent dans une nouvelle forme de rite funéraire. L’univers fictionnel de The Final Cut (Omar Naïm, 2004) présente en effet un futur proche où un quart des individus s’est fait implanter avant la naissance une puce cérébrale qui enregistre continuellement les sens de la vision et de l’ouïe et qui génère un fonds d’archives visuelles. À la mort des individus porteurs d’un implant Zoe (ironiquement, zōē en grec exprime le fait de vivre), tout un dispositif institutionnalisé se déploie en vue d’offrir aux proches du défunt (qui en auraient les moyens financiers) une cérémonie funéraire au cours de laquelle est projeté un film-mémoire construit à partir des archives audiovisuelles du défunt. Le déroulement du « rite » est à peu près le même pour toutes les personnes venant de mourir : l’implant est récupéré dans le corps du cadavre, inséré dans une petite disquette nominative et placé dans l’un des multiples casiers métalliques de la banque de données hautement gardée d’EyeTech. La famille du défunt peut choisir ou non de faire appel à un monteur d’images qui ira réclamer la puce originale et produira, à partir des images audiovisuelles enregistrées par celle-ci, un montage d’une durée équivalente à un long métrage cinématographique. Disposant des archives visuelles, le monteur opère des choix narratifs, garde les scènes les plus positives et se départit des plus lourds secrets conservés par la puce grâce à sa machine de montage nommée la Guillotine. Il se fait ainsi le garant et le passeur d’une mémoire épurée du défunt. Contrairement à d’autres médias imaginaires, à l’exemple de Grain, MASS ou Mind’s Eye, l’implant Zoe ne possède qu’une simple fonction d’archivage : à aucun moment les individus porteurs de la puce ne peuvent visionner les images générées par celle-ci. Le film présente en outre un support de mémoire numérique assez singulier : les monteurs travaillent par moment sur des plaquettes de verre dans lesquelles sont conservés des films en cours de montage ou des créations qui ne sont pas destinées à être vues sinon que par le monteur lui-même.
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Puzzlehead
Enfermé dans son sous-sol, Walter (Stephen Galaida), un savant fou et solitaire, parvient à bricoler un androïde qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Walter parvient également à copier sa « structure mémorielle » pour l’implanter dans son clone robotique. La structure mémorielle du savant fou a en fait été transcodée dans un circuit électronique. Une fois le circuit implanté dans le robot, celui-ci, répondant au nom de Puzzlehead, entame un apprentissage éducatif rigoureux sous la direction de son concepteur. Il parvient à posséder une intelligence comparable à celle de l’humain. Il s’approprie peu à peu certains souvenirs de Walter, qui lui ont été involontairement implantés. La représentation liant circuit électronique et mémoire est assez peu commune. On la trouve également dans le film Rememory (2017), dans lequel les souvenirs sont transcodés sur des plaques de verre dont on perçoit par transparence les circuits électroniques.
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[Transplanteur mémoriel] (Center for Advanced Health and Living)
Le film Advantageous (Jennifer Phang, 2015) met en scène une technologie de transplantation mémorielle. Le Center for Advanced Health and Living, une compagnie de biotechnologies informatiques, vend un service permettant à des personnes en mauvaise santé de changer de corps biologique : « Here at the Center for Advanced Health and Living, our procedure provides a solution for any long-term health concerns. The experience is akin to a seamless jump into a disease-free body of your choosing. » (8:41). L’entreprise s’inscrit également dans le marché de la beauté et du rajeunissement : « Here at the Center for Advanced Health and Living, we are working to offer you the safest alternatives to invasive cosmetic surgery so you’ll have every chance to be the you you were meant to be. » (9:43) Le personnage principal, Gwen Koh (Jacqueline Kim), travaille pour cette entreprise, mais il fait les frais de l’idéologie âgiste portée par cette dernière. Visage de marque de la compagnie depuis plusieurs années, Gwen se voit contrainte de transplanter sa mémoire dans un autre corps humain afin de conserver son emploi. Elle est jugée trop âgée pour continuer à représenter la corporation, laquelle veut cibler un public plus jeune et plus « universel ». Ses employeurs lui font une offre : elle pourra conserver son emploi (mal rémunéré) à condition de transplanter sa mémoire dans un corps plus jeune (et, au passage, moins racisé). Mère monoparentale dans une société où le taux de chômage féminin atteint des sommets et où la prostitution infantile est de plus en plus courante, Gwen n’a d’autre choix que d’accepter. Refusant que son enfant se prostitue, elle se soumet ainsi aux attentes du comité de direction. Toutefois, la transplantation mémorielle n’est pas sans conséquence pour elle. Investissant un corps dont la morphologie est jugée plus « universelle » par ses employeurs, Gwen délaisse une part importante de son identité afférente aux traits asiatiques qui étaient les siens. Son corps originel de femme asiatique quarantenaire ne correspondant plus aux normes du marché, une fois la procédure de transplantation complétée, il devient un déchet dont on peut se débarrasser comme on le ferait d’un objet ordinaire. Grâce à un dispositif filaire, la mémoire de Gwen est ainsi encodée et, peut-on supposer, directement implantée dans un nouveau corps, celui de Gwen 2.0 (Freya Adams). Le transfert de mémoire semble se faire directement d’un corps à l’autre (la mémoire encodée n’est pas conservée sur un support externe). Le film ne fournit en réalité que peu d’explications sur la procédure technique, le transfert étant simplement illustré par une scène où l’on voit Gwen porter un casque filaire (1:00:00, voir image). Advantageous explore par ailleurs une corrélation possible entre l’apparition de nouvelles technologies d’extraction de la mémoire et l’émergence d’une forme culturellement déterminée d’obsolescence des corps biologiques. Les corps biologiques sont alors réduits au rang de produits de consommation dont la valeur marchande est régulée par un marché plus ou moins institutionnalisé. Le film reste assez vague sur la provenance des corps-prothèses : les personnes qui lèguent leurs corps sont-elles consentantes? Ou bien les corps-prothèses sont-ils illégaux?
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PINN
Dans Transcendance, Will Caster (Johnny Depp), un chercheur en intelligence artificielle, travaille sur un procédé permettant d’atteindre la « singularité technologique », qu’il nomme la « transcendance ». Will a créé le système PINN (Physically Independent Neural Network), un réseau neuronal numérique renvoyant à une intelligence artificielle faible, mais extrêmement perfectionnée. Lors d’une conférence, un groupe militant luddite parvient à empoisonner Will au polonium. Alors que les jours de ce dernier sont comptés, sa femme, Evelyn (Rebecca Hall), le convainc de prolonger sa vie de manière informatique. Tout récemment, l’un de ses collègues est en effet parvenu à créer une intelligence artificielle forte en encodant l’esprit d’un singe dans une machine. Evelyn rappelle à Will l’avancée technique qu’a constituée l’expérimentation en intelligence artificielle avec le singe et lui suggère que celle-ci pourrait être reproduite en le prenant pour sujet. Evelyn précise à Will : « Instead of creating an artificial intelligence, he duplicated an existing one. […] He recorded the monkey’s brain activity and uploaded it like a song or a movie. […] his mind is electrical signals that we can upload into PINN » (23:56) Durant les dernières semaines qui lui restent à vivre, Will suit le protocole d’encodage de son cerveau et de sa mémoire-identité. Les signaux électriques de son activité cérébrale sont enregistrés et compilés par l’algorithme de PINN. Lorsqu’il décède, il laisse place, semble-t-il, à une version numérique de lui-même. Celle-ci paraît constituer une intelligence artificielle forte. Le film présente plusieurs stades de développement de l’intelligence artificielle fondée sur Will : après l’encodage et la modélisation de l’IA, celle-ci est directement reliée à Internet. Un centre de données alimenté par des panneaux solaires et des processeurs quantiques, le Brightwood Data Center, est ensuite créé avec l’aide d’Evelyn afin de poursuivre les travaux de Will. Construit sous la surface de la terre, le laboratoire est gigantesque. L’IA, qui s’autoreprésente sous les traits de Will par le biais d’une interface écranique (voir Identité de terminal), gagne en puissance et nécessite toujours plus d’énergie pour fonctionner. Elle parvient à se déployer nanotechnologiquement en dupliquant son code informatique dans la moindre molécule terrestre, depuis les cellules humaines jusqu’aux molécules de l’eau. La version numérique de Will parvient ainsi à contrôler l’environnement et les individus grâce aux nanotechnologies : elle les « transcende ». C’est de cette manière qu’elle réussit à fabriquer un corps biologique ressemblant fortement au corps de Will Caster, un « clone » en somme. Bien qu’aucune réponse tranchée ne soit fournie, l’enjeu principal du film est de savoir si la copie numérique de Will est véritablement consciente d’elle-même et s’il s’agit de Will ou non. L’idéologie de la « cyberconversion » repose sur la croyance selon laquelle une continuité subjective parfaite entre une personne et une machine serait possible, la frontière entre l’humain et le code informatique s’effaçant ainsi complètement. Cet enjeu constitue le terrain sur lequel s’affrontent idéologiquement Evelyn Caster et son ami scientifique Max Waters (Paul Bettany) tout au long du film.
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Chrysalis
Mise au point par un laboratoire (fictif) de l’armée européenne, la technologie Chrysalis constitue un modèle de machine spécialisée dans la modification numérique de la mémoire humaine. Cette technologie avancée permet de numériser la mémoire, d’effacer la mémoire épisodique d’un individu et d’implanter des souvenirs, existants ou créés de toutes pièces, dans d’autres corps humains. Catégorisée au début du récit comme un outil médical, la technologie Chrysalis prend la forme d’un siège de traitement muni d’écarteurs oculaires et d’un casque-écran. Attachés sur le siège, les individus en traitement reçoivent des électrochocs puissants. On apprend cependant que la machine a été dérobée au gouvernement et fait l’objet d’une utilisation illégale par Dre Brügen (Marthe Keller). À la tête d’une clinique privée, celle-ci met au point un stratagème afin de faire « revivre » Manon (Mélanie Thierry), sa fille biologique qui vient de décéder dans un accident de voiture. Les technologies de chirurgie esthétique et Chrysalis sont ainsi mises à contribution pour modeler une nouvelle Manon dans un autre corps. Une jeune femme étrangère répondant au nom d’Héléna est enlevée et opérée afin de ressembler à la défunte, puis elle est soumise aux traitements mnésiques permis par Chrysalis. Sa mémoire personnelle est effacée en vue d’être remplacée par celle de la défunte qui, dans l’intervalle, semble avoir été stockée sur un support informatique. Une fois la procédure complétée, la nouvelle Manon possède un corps quasi identique à l’original et est investie de la mémoire personnelle et des souvenirs de la défunte. Toutefois, certains problèmes subsistent. Sans compter les enjeux éthiques relatifs à l’enlèvement et au consentement des personnes, la machine Chrysalis ne peut surmonter certaines difficultés liées à la persistance de la mémoire personnelle du corps-prothèse. En effet, les traitements visent à remplacer totalement la mémoire personnelle d’Héléna par celle de Manon, afin que cette dernière puisse s’identifier pleinement à son nouveau véhicule corporel. Or, le corps-prothèse d’Héléna présente des résistances à la nouvelle Manon. Celle-ci fait par exemple des cauchemars récurrents renvoyant à l’identité originale du corps. La mémoire d’Héléna résiste à la suppression dont elle fait l’objet.
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Spiritual Switchboard (McCandless Corp.)
Nous sommes en 2009. Le Spiritual Switchboard est une division de la McCandless Corporation, une multinationale qui détient un pouvoir immense sur la ville et les banques de New York. Cette branche de l’entreprise s’est spécialisée dans le prolongement de la vie et propose à ses clients les plus fortunés des corps humains en santé en vue d’une réincarnation post mortem. Les corps biologiques dans lesquels la mémoire-identité des clients est téléversée sont en fait téléportés depuis le passé. Contrairement aux corps contemporains, les corps biologiques du passé sont plus sains, car ils ne sont pas autant contaminés par les drogues et la pollution ambiante. Si un client souhaite que sa mémoire-identitaire soit téléversée dans un nouveau corps, le processus nécessite d’abord de rechercher dans le passé un corps adéquat (un « jack »). Le procédé d’extraction d’un corps consiste en premier lieu à connaître les coordonnées spatiotemporelles de la mort d’un individu dans le passé pour pouvoir téléporter temporellement son corps dans le présent juste quelques minutes avant son décès effectif. Puisque les corps-prothèses nécessitent d’être jeunes et en santé, le type de mort préconisé est l’accident (la vieillesse ou la maladie sont automatiquement exclues). S’appuyant sur des archives de presse, l’équipe de « bonejackers » engagée par la branche de la compagnie McCandless jette son dévolu sur le pilote automobile Alex Furlong (Emilio Estevez) ayant trouvé la mort lors d’une course très médiatisée en 1991. Juste avant que ne survienne le choc fatal, celui-ci est « extrait », c’est-à-dire téléporté temporellement. La procédure prévoit qu’après l’extraction l’individu subisse une lobotomie pour devenir, à l’instar des poupées de l’agence Dollhouse (Dollhouse), un corps-prothèse vidé de son esprit et prêt à recevoir une nouvelle identité. Cependant, en raison d’un incident, la lobotomie de Furlong ne se passe pas comme prévue et celui-ci parvient à prendre la fuite dans un New York futuriste et totalement hostile. Il devient un « freejack », un corps de remplacement en fuite. Pendant que ce dernier est recherché dans toute la ville, l’esprit (ou plutôt la mémoire) du défunt destinée à investir ce corps momentanément introuvable patiente sur un support informatique (voir Identité de terminal). En effet, en vue de sa réincarnation, le client s’est préalablement fait copier la mémoire (voir Cyberconversion) et n’existe plus désormais qu’à travers une interface numérique simulant son ancienne apparence corporelle. Grâce à ce dispositif, le défunt est en fait devenu une sorte d’intelligence artificielle forte, mais il ne peut persister dans cet état au-delà de 36 heures. Lorsque la procédure se déroule normalement, une fois l’extraction et la lobotomie du corps-prothèse complétées, la mémoire du client est transférée dans ce dernier. Pour ce faire, une machine est utilisée qui génère un espace semi-virtuel particulier où peuvent être mis coprésence le corps-prothèse et la simulation corporelle du défunt. L’un et l’autre s’installent alors de part et d’autre d’une station électromagnétique munie de bornes où chacun doit poser ses mains. Au moment de cet ultime face-à-face, le transfert de mémoire a lieu.
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[Suppresseur mémoriel] (Lacuna Inc.)
Eternal Sunshine of the Spotless Mind (Michel Gondry, 2004) illustre comment les technologies peuvent être employées pour supprimer un souvenir ou des sentiments douloureux. Le personnage de Joel Barish (Jim Carrey) découvre que Clementine (Kate Winslet), sa petite amie, s’est fait effacer tous ses souvenirs liés à leur relation amoureuse. En effet, à la suite d’une dispute survenue entre eux, Clementine a pris la décision de ne plus se souvenir de Joel et a fait appel à l’entreprise spécialisée dans l’effacement de mémoire Lacuna Inc pour y parvenir. Impuissant face à cette situation à l’égard de laquelle il n’a pas été consulté, Joel fait appel à la même entreprise afin d’effacer à son tour les souvenirs qu’il a de Clementine. Effacer un souvenir au moyen de la technologie Lacuna nécessite de suivre trois grandes étapes. Le client doit d’abord rassembler tous les objets liés à la personne qu’il souhaite oublier (photos, vêtements, cadeaux, objets, etc.) et qui sont susceptibles de la lui rappeler, puis se rendre muni de ceux-ci dans le laboratoire de Lacuna. Cette collection d’objets permet ensuite au Dr Howard Mierzwiak (Tom Wilkinson) et à son technicien (Mark Ruffalo) de constituer une carte cérébrale (mapping) du client et de cibler les éléments à effacer. Exposé aux objets les uns après les autres, certaines zones du cortex cérébral du client sont activées et traduites par une machine de cartographie cérébrale. Le soir même, un groupe de techniciens se rend directement chez le client, à l’heure du coucher, pour effacer les souvenirs ciblés. Le client se réveillera le lendemain matin, dans son lit, comme si rien n’était arrivé. L’effacement de la mémoire épisodique s’opère grâce à un casque métallique imposant relié par de multiples branchements à un ordinateur. Le technicien supprime un à un les souvenirs identifiés lors de la cartographie cérébrale. Une fois la suppression effective, Lacuna envoie un faire-part aux proches du client pour les avertir de ne plus mentionner à celui-ci le nom de la personne oubliée. L’entreprise Lacuna assure que sa technologie est efficace, mais elle mentionne tout de même que certains clients pourraient présenter des résistances à l’effacement mémoriel et ainsi lutter pour conserver certains souvenirs. C’est précisément le cas du personnage principal, Joel Barish.
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Pemex
Le Pemex est issu de l’imaginaire de l’univers de Johnny Mnemonic (Robert Longo, 1995). Nous sommes en 2021. Le personnage principal du film, Johnny Smith (Keanu Reeves), est un agent d’élite qui occupe la fonction de messager mnémonique (mnemonic courier). Il a pour tâche de livrer des informations de grande valeur, la plupart du temps en contrebande. Johnny s’est fait implanter illégalement une puce bionique qui lui permet de transporter des données de façon hautement confidentielles. En effet, l’implant est inséré dans le crâne du personnage, mais celui-ci n’a jamais accès aux données qu’il contient. Seul le client à qui sont destinées les informations possède le code d’extraction. De ce fait, la puce cérébrale possède un atout majeur : il est difficile de subtiliser les données qui y sont recueillies. En revanche, le Pemex présente quelques désavantages. En premier lieu, lorsqu’un client appelle Johnny pour utiliser ses services, celui-ci doit téléverser les données dans son Pemex. Tout un ensemble d’appareils est requis pour réaliser cette opération : un casque, un lecteur de données, un compteur de gigaoctets, ainsi qu’un dispositif qui permet d’imprimer le code d’extraction correspondant. Ainsi, bien que la puce Pemex soit intracrânienne, son fonctionnement nécessite de nombreux dispositifs périphériques. Ensuite, l’implant Pemex est limité en termes d’espace de mémoire. Dans une scène, le personnage se sert d’un Pemex Memory Doubler afin d’augmenter la capacité de sa puce à 160 gigaoctets. Cependant, des missions peuvent nécessiter encore plus d’espace de mémoire numérique. Cette surcharge peut affecter sévèrement la santé du personnage. De plus, il est difficile et onéreux d’extraire l’implant du corps lorsqu’on souhaite, comme Johnny, quitter le métier de messager. En effet, malgré la pression que met sur lui son patron Ralfi (Udo Kier) pour qu’il demeure à son emploi, Johnny veut quitter sa fonction, mais il n’a pas les moyens matériels et financiers de le faire. À cela s’ajoute le fait que Johnny a dû sacrifier sa mémoire autobiographique au moment de se faire implanter le Pemex. Tous ses souvenirs d’enfance ont été supprimés pour assurer le bon fonctionnement de la technologie. Il ne parvient pas à rendre sensés les quelques résidus de souvenirs de son enfance qu’il perçoit sporadiquement, en flash ou en rêve. La mémoire numérique du Pemex empiète sur la mémoire biologique de Johnny et sur la capacité d’agir du personnage, aux prises avec des troubles identitaires.
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TruNode
TruNode est une sorte de machine écranique sur laquelle est installée une plateforme spécialisée dans l’achat et la vente de souvenirs biologiques numérisés (« TruNode : el mercado de memorias numero uno del mundo »). Le logiciel TruNode se présente sous la forme d’une interface visuelle et vocale qui permet aux individus de téléverser et d’encoder les souvenirs biologiques des individus, ou plutôt leurs images mentales, sous un format numérique. Elle permet aussi aux individus de visionner ou de consommer, moyennant paiement, les souvenirs d’autres utilisateurs sous la forme d’images audiovisuelles (à la manière de petits courts-métrages). Pour déposer un souvenir biologique sur TruNode, l’individu doit se brancher physiquement à la machine afin d’y déposer des images mentales; au préalable, l’usager doit avoir subi une chirurgie mineure afin de s’équiper de ports informatiques épidermiques (directement reliés à son système nerveux) grâce auxquels il pourra se raccorder à la machine. Luz Martinez (Leonor Varela), l’un des personnages principaux de Sleep Dealer, possède de tels ports informatiques sur ses poignets et dans son dos. Elle utilise fréquemment TruNode pour gagner un peu d’argent. Écrivaine, elle n’arrive pas à vivre de sa plume. Trouver des histoires hors du commun à vendre sur TruNode est alors une question de survie. Un jour, elle rencontre un jeune homme par hasard, Memo Cruz (Luis Fernando Peña), qui lui confie son récit de vie peu commun. Le jeune homme, qui avait pour loisir de pirater les ondes radio avec du matériel bricolé, a surpris de façon tout à fait innocente une conversation militaire confidentielle. Identifiant par erreur l’inoffensif Memo comme terroriste, l’armée a envoyé un drone bombarder la petite maison familiale de celui-ci, tuant du même coup son père qui se trouvait à l’intérieur. Emplie de ce récit, une fois rentrée chez elle Luz se connecte corporellement à TruNode et téléverse le souvenir de sa conversation avec Memo (sans que ce dernier n’en soit avisé). Aux images mentales automatiquement encodées par TruNode, elle adjoint un récit vocal qui doit être le plus précis possible. TruNode est effet équipé d’une fonction particulière : tout commentaire associé à un souvenir numérisé est obligatoirement soumis à un détecteur de mensonge qui ne semble pouvoir être déjoué. Bien que Luz soit écrivaine et créative, la machine la force à raconter ce qu’elle a vécu, le plus simplement et avec le moins de détours possibles. La plateforme poursuit ainsi une visée strictement testimoniale, valorisant le récit réel et la preuve, et ne laisse pratiquement aucune place à l’imagination et à la création. Les souvenirs vendus sur la plateforme doivent être véridiques en somme. Comme de nombreuses autres fantaisies technologiques, le média imaginaire TruNode donne l’impression que les images mentales peuvent être directement et fidèlement traduites dans un format numérique. Cette représentation conçoit également le souvenir biologique comme une trace fidèle de ce qui a été perçu, évinçant de ce fait la part imaginative qui compose tout souvenir (voir à ce sujet Neisser, 1997). Une fois que le souvenir a été numérisé et qu’y ont été adjoints des éléments favorisant sa mise en marché sur la plateforme, il ne reste plus qu’à attendre que le « produit » soit acheté par des clients curieux. Le marché a ainsi trouvé une manière de valoriser monétairement les souvenirs biologiques. C’est ainsi que le pilote du drone qui a détruit la vie de Memo découvre le souvenir de Luz et finit par demander pardon à Memo pour la méprise et la faute commises.
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[Siège de traitement] (Dollhouse)
Les agences Dollhouse, filiales du laboratoire international de recherche médicale Rossum, ont mis au point une machine de modification de mémoire. Œuvrant dans l’illégalité et s’adressant à une classe d’individus riches et hauts placés, les Dollhouses offrent des services de location d’humains programmés sur mesure. Les agences répondent aux demandes précises de clients et « fabriquent », au cas par cas, des individus en implantant de nouvelles personnalités et compétences aux « agents » de la Dollhouse. Ces agents spéciaux ne sont autres que des humains captifs (des « esclaves » plus ou moins volontaires) à qui l’on a effacé la mémoire d’origine. Comme dans Total Recall (1990), un siège électromagnétique sert à modifier la mémoire des individus en vue de les façonner pour leur mission. Par exemple, au début de chacune de ses affectations, Caroline Farell (Eliza Dushku) devenue Echo, une « poupée » humaine vide de souvenirs, attend docilement une nouvelle « greffe » de mémoire. Cette opération est appelée un « traitement » dans le jargon de la Dollhouse. Les souvenirs et la mémoire qui lui sont implantés peuvent avoir appartenu à quelqu’un d’autre ou avoir été fabriqués pour répondre à la demande d’un client de l’agence. Topher Brink (Fran Kranz), le génie programmeur de la Dollhouse de Los Angeles, choisit par le biais de son ordinateur des séquences pertinentes qui formeront la nouvelle identité d’Echo. Il insère dans la machine une cassette qui contient les données mémorielles en question et enclenche le mécanisme de transfert depuis son écran de contrôle. Alors, Echo, chargée d’une mémoire et d’une identité étrangère, se réveille transformée et part pour sa mission. Echo, comme toutes les poupées de la Dollhouse, peut devenir n’importe qui afin de combler les besoins d’un client : une jeune ingénue, une négociatrice spécialisée dans les enlèvements d’enfants, un agent secret, une aveugle. Elle peut aussi incarner une personne qui a déjà existé. Les clients paient ainsi des millions de dollars pour jouir, pour une durée déterminée, de l’individu désiré. La mémoire d’origine de Caroline Farell est cependant conservée dans un disque dur. À la fin de son contrat, elle pourra éventuellement passer une dernière fois sur le siège de modification de mémoire et recouvrer son identité première.
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[Siège d’implantation] (Rekall)
Dans le monde fictionnel de Total Recall (Paul Verhoeven, 1990), l’entreprise Rekall Incorporated vend des forfaits de mémoire. Misant sur sa machine ultrasophistiquée, elle offre un service d’implantation de faux souvenirs. Rekall propose par exemple le souvenir d’un voyage sur Saturne ou sur Mars. Au forfait voyage sur Mars, qui comprend le souvenir de deux semaines de tourisme luxueux sur cette planète, peut être ajoutée une option. L’option Ego Trip comprend par exemple d’avoir le souvenir d’être un playboy millionnaire, un sportif professionnel, un magnat industriel ou un agent secret. Il s’agit dans ce cas de « prendre vacance de soi-même » en se transformant en une autre personne lors d’un voyage interplanétaire. Satisfaits ou remboursés, le client ou la cliente qui se font implanter un souvenir selon des critères personnalisés auront l’impression d’avoir réellement vécu l’épisode de vie pourtant créé de toutes pièces par une machine, et ce, sans jamais avoir bougé du siège d’implantation. Douglas Quaid (Arnold Schwarzenegger), le personnage principal, qui au début du film est un simple ouvrier de chantier, forme une cible parfaite pour Rekall. Les publicités de la compagnie s’adressent en effet aux prolétaires qui n’ont ni les moyens ni le temps de se payer de véritables vacances. La publicité qui passe sur les écrans du métro est assez claire à ce sujet : Would you like to ski, but you’re snowed under with work? Do you dream of a vacation at the bottom of the ocean, but you can’t float the bill? Have you always wanted to climb the mountains of Mars, but now you’re over the hill? Then come to Rekall lncorporated, where you can buy the memory of your ideal vacation, cheaper, safer and better than the real thing. So don’t let life pass you by. Call Rekall, for the memory of a lifetime. For the memory of a lifetime, Rekall, Rekall, Rekall! (9:45). Les forfaits proposés par Rekall permettant de faire des expériences « moins chères et plus sûres » ne nécessitent qu’un court passage dans un siège électromagnétique. Les modifications de mémoire trouvent dans ce film une dimension extramédicale. Toutefois, s’il permet à Rekall Inc. de mettre en marché une nouvelle forme de divertissement, le siège possède également une fonction cachée, celle d’effacer la mémoire et d’altérer l’identité personnelle des individus qui s’y soumettent. La machine permet de créer les agents secrets les plus efficaces : sans mémoire de leur passé ni de leur véritable identité, ils résistent aux interrogatoires les plus musclés.
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Implant Hplus (Hplus Nano Teoranta)
Dans l’univers transmédia de la websérie H+: The Digital Series (2012-2013), l’entreprise irlandaise Hplus Nano Teoranta se vante d’avoir inventé le N54, un implant bionique de nouvelle génération. Selon l’entreprise, « The N54 implant is merely one important milestone on the path of transhumanism. From artery cleaners to exciting new breakthroughs in nervous system interfacing, Hplus Nano is developing a suite of advanced new tools that will make good on the promise to strengthen our fragile lives ». Cette même firme transhumaniste a mis en marché une autre technologie : Hplus, une bionanotechnologie informatique extramédicale destinée au marché libéral de grande consommation. (Notons au passage qu’en dehors de la fiction, le terme Hplus ou H+ est aussi le logo ou symbole des mouvements transhumanistes.) Commercialisée à l’échelle mondiale, la puce est utilisée par une grande partie de la population. Ce nano-implant relié aux terminaisons nerveuses permet aux individus d’être connectés en permanence à Internet et d’accéder depuis leur corps à une interface nerveuse numérique. « The implant, known simply as Hplus, will connect users’ nervous systems over a worldwide network allowing them to access the cloud using sensorial GUIs. » Les individus porteurs peuvent naviguer dans l’interface en réalité augmentée grâce à des gestes de la main. Hplus possède de nombreuses fonctions : elle permet d’accéder à Internet « dans sa tête » (sans l’aide d’un média ou d’une interface externe au corps) dans un monde où pratiquement tout y est désormais connecté (on parle ici d’un « Internet of Everything »). Hplus fait partie de la catégorie des technologies de modification cognitive (« cognitive enhancement ») et également d’expansion mémorielle (« memory enhancement ») puisque, selon l’idéologie sous-jacente au discours de Hplus, les individus porteurs d’un implant possèdent désormais une « vaste mémoire », par l’accès au Réseau.
En 2012, la websérie diffusée sur YouTube était reliée à un univers transmédia (une plateforme web dédiée présentait la websérie; un faux site web de la firme Hplus Nano Teoranta – encore en ligne – et des fausses publicités promouvaient l’implant). Chacun des épisodes était également relié à un objet diégétique numérique que le spectateur pouvait visionner et qui appartenait en général à un protagoniste (échanges épistolaires, captures d’écran, journal intime, etc.) ou plus largement à la diégèse (pamphlet de l’entreprise Hplus Nano Teoranta, discours prononcés, coupures de presse, documents vidéos, etc.). Certains épisodes permettaient de télécharger des parties de la notice d’utilisation de l’implant Hplus. Sur l’une d’entre elles, on peut lire que les individus porteurs ont la possibilité de modifier la transparence de l’interface Hplus afin d’être en immersion totale lorsqu’ils regardent un film en ligne, « dans leur tête ». Cette même notice indique également qu’il est essentiel de se connecter à un compte Mortle Systems afin de profiter de toutes les fonctionnalités de l’implant, en plus de devoir souscrire annuellement à un abonnement. Mortle Systems est une entreprise de télécommunications et de stockage de données avec qui Hplus Nano Teoranta entretient un partenariat d’affaires. La technologie est ainsi pensée suivant une logique de centralisation et de privatisation des données. Dans le récit, cette centralisation des données rend la technologie Hplus vulnérable. En effet, l’histoire tourne autour de l’apparition d’un virus bio-informatique aux effets dévastateurs. Ayant une grande puissance létale, le virus infecte la population porteuse de l’implant et fait de nombreux morts.
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Clockwork (projet)
La série télévisée étasunienne Intelligence (Michael Seitzman, 2014) met en scène un implant militaire issu d’un programme appelé Clockwork (jugé équivalent au Projet Manhattan à l’heure du cyberterrorisme). Gabriel Vaughn (Josh Holloway), un agent du United States Cyber Command, possède en effet un micro-ordinateur implanté dans la tête. Grâce à cette technologie, Vaughn peut accéder par la pensée à de multiples bases de données, allant des moteurs de recherche sur Internet aux informations classées « secret défense ». Il peut par exemple identifier les personnes qu’il rencontre grâce à un système de reconnaissance faciale et fouiller « mentalement » dans les dossiers accessibles, classifiés ou non, pour en savoir plus sur celles-ci. L’agent peut ainsi naviguer sur le Réseau et accéder virtuellement aux serveurs de multiples centres de données. Vaughn peut accéder aux enregistrements de caméras de surveillance en réseau, le monde étant de plus en plus vidéosurveillé. Par recoupement de données, un algorithme recrée les scènes filmées dans un monde virtuel en trois dimensions. Cette fonction appelée « cybertransfert » lui permet notamment de visualiser une scène de crime en trois dimensions et sous différents angles. En somme, les programmes algorithmiques de l’implant et les réseaux de données numériques constituent un prolongement de la faculté mémorielle de Vaughn. Cependant, la connexion fonctionne aussi en sens inverse, car il est possible de pirater l’implant à distance. Le neuvième épisode de la série (« Athens »), illustre les périls associés à la consignation de la mémoire personnelle sur des structures numériques vulnérables aux attaques informatiques.